Echos de campagne à La Courneuve

le 30 mars 2012 :: A La Courneuve

Aujourd'hui, je vous invite à prendre connaissance de l'article publié sur le blog du Monde Urbains sensibles d'Aline Leclerc et Elodie Ratsimbazafy, qui relate une réunion d'appartement que j'ai organisée mardi dernier à La Courneuve.

 

Un socialiste à domicile : "Comment vous la sentez cette campagne ?"

12e étage de la barre HLM du Mail Maurice de Fontenay, mardi 18 h 30. "Alors Monsieur Troussel comment ça va ? Les intentions de vote, ça monte, ça descend hein !" Adressée au conseiller municipal socialiste qui vient d'entrer dans l'appartement, la taquinerie amuse toute l'assistance. "La politique, c'est pas les sondages !" sourit l'élu en s'asseyant. Autour de lui, huit femmes et six hommes, la plupart habitant de l'immeuble ont pris place dans le petit salon à l'invitation de Mme Koné, socialiste convaincue : on est épaule contre épaule, il a même fallu aller chercher, à la dernière minute, quelques tabourets. A son arrivée, chaque voisin s'est vu offrir un verre de thé à la menthe et un exemplaire du programme de François Hollande. On éteint l'immense télé branchée sur BFMTV. La "réunion d'appartement" peut commencer.

"Si je suis ici, c'est parce que je veux que nos quartiers de La Courneuve se mobilisent pour cette élection, explique l'élu socialiste. "Mais ça va passer" le rassure un des voisins. "On ne sait pas hein, avec l'histoire Mohamed Merah..." rétorque un autre. "Ici, ça ne fait pas de doute que la gauche va passer, le rejet de Sarkozy est tellement fort... Mais La Courneuve n'est pas la France ! argumente Stéphane Troussel, également vice-président du conseil général et président de l'office départemental des HLM. Rappelez-vous en 2007, nos quartiers ont voté massivement pour Ségolène Royal et vous avez vu le résultat... Et alors qu'il y avait eu à l'époque une forte mobilisation, l'abstention n'a depuis fait qu'augmenter à chaque élection : moins de 40 % de la population a voté aux cantonales!" "C'est nos jeunes qui ne votent pas" soupire Habiba, animatrice, 45 ans, la moyenne d'âge ce soir-là. A côté d'elle, plusieurs femmes sont auxiliaires de vie en maison de retraite ou femmes de ménage. Deux des hommes travaillent dans la restauration, un troisième cherche un emploi de technicien dans la ventilation.

"Nicolas Sarkozy, non seulement il n'a rien changé à la vie de nos quartiers, mais rappelez-vous comment il s'est adressé à nous ! Pas besoin d'insister sur la racaille, le Kärcher... Il n'a fait qu'opposer les gens les uns aux autres en permanence..." continue Stéphane Troussel, soudain interrompu par Mohamed, 45 ans, chauffeur de car : "On a eu la droite, on a eu la gauche, qu'est-ce qui va changer ? Hollande que va-t-il nous apporter ? On connaît les promesses ici, hein, il va pas nous la faire!" Les autres opinent du chef. Habiba insiste : "Je ne suis pas contre lui car pour l'instant je vous le dis honnêtement, je ne sais pas pour qui je vais voter. Mais vous êtes là pour nous convaincre, non ? Alors Monsieur Troussel, qu'est-ce qu'Hollande peut nous apporter ?"

"François Hollande n'a pas de baguette magique"

Les habitants ne s'en laisseront visiblement pas compter. Loin d'être désarçonné, l'élu semble plutôt satisfait : il y a apparemment là quelques voix à gagner, sur l'abstention d'abord, sur le Front de gauche ensuite. Il commence sa plaidoirie en énumérant les "progrès" apportés par le PS : "la retraite à 60 ans", la "CMU", "les 35 heures", "les emplois jeunes : ce n'était pas parfait mais ça avait mis le pied à l'étrier de beaucoup de nos jeunes ; la police de proximité que la droite a démontée pour des raisons purement idéologiques". Puis rappelle les engagements pris par François Hollande ces dernières semaines qui concernent directement les quartiers populaires : "il y aura un 2e plan national de rénovation urbaine ! Mais il faut arrêter de penser que la seule réponse est dans le changement des bâtiments ! Il faut s'occuper de l'emploi des jeunes ! Et justement, François Hollande a fait de la jeunesse sa priorité du quinquennat". Il évoque alors les contrats d'avenir, les contrats de génération, les 60 000 postes dans l'éducation, les 1000 embauches par an dans la police. On sent qu'il marque là quelques précieux points même si chacune de ses interventions ou presque commence par : "François Hollande n'a pas de baguette magique".

Peu à peu, d'autres locataires osent prendre la parole : "Et comment il va financer tout ça?" ; "Mais les riches, ils disent qu'ils vont tous partir ! ; "Ici, y a des ouvriers des pays de l'est qui viennent bosser pour une bouchée de pain, vous trouvez ça normal ?" ;  "Pourquoi elle a perdu en 2007 Ségolène Royal ?" L'élu aussi les interroge : "Et vous, comment vous la sentez cette campagne ?" Venu convaincre, il est aussi venu prendre le pouls de la campagne.

"Ce qui se passe en ce moment, ce n'est pas supportable..."

La discussion est courtoise, chacun prenant la parole à son tour.  Au bout d'une heure, elle se tarit doucement. "Y a-t-il d'autres sujets qui vous préoccupent ?" relance le socialiste. Silence. "Les ascenseurs ! lâche soudain Mohamed. Ils ne peuvent pas faire quelque chose ?" Voilà que la petite assemblée, jusqu'ici plutôt calme, se soulève. L'un évoque les odeurs d'urine, l'autre le calvaire de son vieux voisin qui a monté à pied 8 étages car la cabine était bloquée par une bouteille. Le sujet dérive sur l'état de l'immeuble bientôt quinquagénaire. "Il faut le détruire ce bâtiment !" Tout le monde parle en même temps. L'évocation du quotidien, bien plus que le programme PS, déchaîne les passions.

Dans le brouhaha, une petite femme discrète demande soudain à parler. "M. Troussel, j'habite au Mail seule avec mes trois enfants depuis 1989. Mais là ce qui se passe en ce moment, ce n'est pas supportable..." Cette seule phrase, dite d'une voix douce mais solennelle, a fait taire toute l'assemblée. Aux regards échangés, on devine que tous ont compris : la petite dame vit dans un des trois porches squattés par des dealers. "L'autre jour, je rentrais du travail, j'ai ouvert ma porte et un homme s'est glissé dans mon salon. Il m'a dit 'y a les flics en bas, je peux pas descendre'. J'ai eu peur, vous ne pouvez pas imaginer... J'ai paniqué, je me disais : si les flics le trouvent chez moi, je serai complice ? Et si je le mets dehors, ne va-t-il pas se venger ?" Sa voix se met à trembler.  On y sent tant d'angoisse, de désespoir, d’épuisement... Un frisson parcourt l'assistance qui l'écoute désormais dans un silence absolu. Comme il est loin le débat sur le possible exil des plus riches en cas de tranche d'impôt à 75 %. Elle poursuit : "Mes enfants, j'ai bien réussi avec leurs études, le dernier vient d'avoir son bac. Mais il n'a trouvé aucune formation. Son frère a 27 ans, il devrait quitter la maison. Mais il a peur pour moi, il ne veut pas me laisser dans ces conditions."

Les autres la regardent avec infiniment d'empathie : élu comme locataires connaissent trop bien les maux et les souffrances de leur cette cité. Après un temps, Stéphane Troussel reprend la parole. "Vendredi soir, nous avons rencontré le préfet avec une délégation d'habitants : nous lui avons dit les porches 15, 17 et 19, c'est plus possible ! raconte-t-il. L'assistance se ranime : "Il faut des digicodes !" "Ça ne sert à rien : ils les cassent, réplique Stéphane Troussel. Moi je n'ai aucun problème avec le fait de mettre plus de policiers pour qu'ils empêchent les trafics". Le militant, doucement, refait surface. "Mais le commissariat de La Courneuve n'a pas assez de gradés ni de policiers pour mener les enquêtes approfondies qui permettent le démantèlement de telles filières". On a allumé les lampes du salon. Il est maintenant presque 21h. Un premier puis un second locataires s'excusent et prennent congés. Il faut conclure.

"Dans tout ce que j'ai entendu, je reste convaincu qu'il nous faut du changement, lance l'élu. Du changement pour le logement, pour l'emploi, pour la sécurité. Rentrés chez vous, réfléchissez à ce que je vous ai dit. Et n'oubliez pas : même si la gauche passe, il faudra rester mobilisés. Dans le passé, la gauche a échoué quand les syndicats, les associations, les citoyens ont pensé que c'était gagné. Il faudra se battre pour maintenir le rapport de force pour défendre les intérêts de nos quartiers".

"Si M. Hollande ne tient pas ses promesses, je viendrai vous voir, vous !" lance l'un des locataires moitié sérieux, moitié moqueur. "Oui, venez me voir ! Lui sera loin, mais moi je serai toujours là !"

A.L.



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