Qui veut tuer la Seine-Saint-Denis ?

le 11 octobre 2012 :: Dans la presse

Ma tribune publiée jeudi 11 octobre dans les pages Rebonds du quotidien Libération

Le drame qui se joue actuellement à l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois jette une lumière crue sur les effets de la crise en Seine-Saint-Denis, d’autant plus ravageurs que notre département concentrait déjà un grand nombre de difficultés. La statistique est implacable : l’augmentation du chômage sur les 12 derniers mois est de 8,5% pour un taux de chômage de 12,4%, l’augmentation du nombre d’allocataires du RSA suit logiquement la même pente, en hausse de 6% depuis le 1er janvier.

Plus que jamais les habitants ont donc besoin de la collectivité de la solidarité et de l’égalité territoriale qu’est le Conseil général. Mais au moment où cette crise rend son intervention indispensable, la tenaille financière se referme inexorablement, réduit nos capacités d’action et  nous empêche d’investir pour l’avenir.

Mon prédécesseur n’a cessé d’alerter sur un système de financement qui est devenu une usine à produire de l’inégalité territoriale. La non-compensation des allocations universelles de solidarité (RSA, APA, PCH) par l’Etat pèse de plus en plus lourdement avec l’augmentation des bénéficiaires : cela représentera pour l’année 2012 plus de 170 millions d’euros. On ne peut pas continuer à financer par les territoires ce qui relève de la solidarité nationale et réduire les départements à de simples guichets.

Est-il juste par ailleurs, à population égale, que le président du Conseil général des Hauts-de-Seine dispose mécaniquement chaque année de 450M€ de plus que le président du Conseil général de Seine-Saint-Denis pour boucler son budget, soit l’équivalent de dix-huit collèges neufs ?

L’absurdité technocratique considère aujourd’hui la Seine-Saint-Denis comme un département riche : nous paierons cette année 14,1 millions d’euros au nom de la péréquation nationale ! Quand se décidera-t-on à prendre en compte la réalité des dépenses sociales obligatoires et pas seulement le potentiel fiscal ?

Si jusqu’à présent le dynamisme des droits de mutation avait masqué ces mécanismes pervers et injustes, le retournement de tendance auquel nous assistons en 2012 laisse craindre le pire pour 2013.

Que des efforts soient possibles et nécessaires pour améliorer la gestion des deniers publics, j’en suis convaincu. Je continuerai de les mener. Mais la bonne gestion ne suffira pas : autant essayer de vider la mer à la petite cuillère. On ne pourra pas non plus réduire sans cesse les investissements sans obérer l’avenir : oui nous avons besoin d’investir dans les collèges, dans les transports, dans la prise en charge de la dépendance, dans le développement économique.

Dès 2013 si rien ne devait changer, il risque de manquer 120 millions à la Seine-Saint-Denis pour établir un budget digne de ce nom. Non pas pour financer je ne sais quelle gabegie fantasmée. A moins de considérer que la protection maternelle et infantile est superflue ? Que la construction de collèges pour répondre à la poussée démographique et faire réussir les jeunes est une vue de l’esprit ? Que le désenclavement par les transports en commun de quartiers populaires trop longtemps ghettoïsés est accessoire ? Que l’accueil des enfants en crèche inutile ? Que l’insertion professionnelle est une lubie ? Que la prise en charge de la dépendance des personnes âgées est une mode? Que le développement économique est secondaire ? Que le dépistage de la tuberculose est un gadget ? Que l’écologie urbaine est un doux rêve ?

Prenons garde à ne pas nous tromper de débat : ce n’est pas un nouveau meccano institutionnel qui règlera ces problèmes de fond(s) et permettra de répondre au seul vrai défi, celui de refaire de la décentralisation un gage de démocratie et de justice territoriale. Si le fameux acte III de la décentralisation n’est pas d’abord un acte d’égalité entre les territoires, il restera un acte manqué.

Les pistes sont connues, elles relèvent de choix politiques courageux : remise à plat du système de péréquation national pour enfin tenir compte de la réalité des dépenses obligatoires ; introduction d’une péréquation régionale sur les droits de mutation à titre onéreux entre les départements dans la région la plus riche d’Europe ; financement des allocations de solidarité nationale par des ressources nationales ; réforme de la fiscalité locale pour redonner aux collectivités la maîtrise de leurs charges et de leurs ressources pour que la libre administration et l’autonomie financière ne relèvent plus de la fiction constitutionnelle. Voilà l’urgence!

Je pousse un cri d’alerte : si rien n’est fait, l’asphyxie financière se profile à très court terme. Faudra-t-il qu’un département comme la Seine-Saint-Denis ne soit plus en mesure de payer le RSA pour que nous soyons enfin entendus à la mesure de l’urgence ?

La Seine-Saint-Denis a du adopter par le passé un budget de révolte. Je ne voudrais pas être contraint à court terme d’adopter un budget de faillite.

 

Stéphane Troussel
Président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis



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