«Il faut mettre le paquet, déranger des gens, arrêter d'entasser les exclus»

le 21 juillet 2010 :: Dans la presse

Aujourd'hui, je vous invite à prendre connaissance de l'interview de mon ami Claude Dilain, parue dans le journal Libération d'hier. Je trouve, comme toujours, particulièrement pertinentes l'analyse de Claude Dilain concernant la situation de nos quartiers populaires et les perspectives qu'il trace pour sortir des difficultés. Maire de Clichy-sous-Bois, la ville de Seine-Saint-Denis où avaient démarré les émeutes des banlieues en 2005, Claude Dilain (PS) dirige l'association Villes et banlieues. Il évoque des pistes concrètes pour sortir de l'impasse actuelle.

Les gouvernements successifs ont multiplié les plans pour les quartiers. Sans résultat. Que faire ?
La France a laissé se territorialiser la misère et l'exclusion. Certains territoires se sont «spécialisés» dans l'accueil des populations en grande difficulté. On fait face à une ghettoïsation. Pour y remédier, il faut avant tout promouvoir une politique de peuplement équilibrée. Tant qu'on accepte de mettre des familles en grande difficulté au même endroit, comment peut-on espérer les intégrer ? Et comment peut-on éviter les poudrières ?

Que préconisez-vous ?
Il faut mettre en place une charte interbailleurs. L'Etat, le président de la communauté d'agglomération, le département, etc : tout le monde doit s'engager dans le même sens en vue d'une attribution équilibrée des logements sociaux. Le bailleur ou le maire seuls ne peuvent pas y arriver. On voit bien que la loi SRU [solidarité et renouvellement urbain, qui prévoit 20% de logements sociaux par commune, ndlr] ne fonctionne pas. Le problème n'est pas quantitatif. Si on continue d'entasser les exclus, il n'y a aucune chance que cela change. Il faut aussi créer, à l'échelon régional, des outils d'intervention dans les copropriétés privées qui sont devenues de véritables réservoirs à marchands de sommeil.

En d'autres termes, vous demandez davantage de mixité sociale…
C'est une utopie. Qu'il y ait des territoires en difficulté, cela ne me choque pas. Mais il faut donner à ces quartiers et à ces villes les moyens financiers de prendre en charge ce qui relève de leur compétence : les écoles, la culture, le sport… L'Etat doit corriger ces inégalités. Là où le chômage est élevé, il faut créer une agence Pôle emploi. Là où l'insécurité est plus élevée, il faut davantage de policiers, etc. Ce n'est de la politique de la ville dont nous avons besoin, mais d'aménagement du territoire.

Que faire pour résorber le fossé béant entre jeunes et policiers ?
Je suis stupéfait du malaise qui règne entre la police et la population, et pas seulement avec les jeunes. On est en train de construire un commissariat à Clichy, et des braves gens s'inquiètent : «Cela va exciter les jeunes. On ne pourrait pas le mettre ailleurs ?» On n'est plus dans la méfiance, mais dans la défiance. Nous avons besoin d'effectifs stables dans les commissariats, et d'une police de quartier, proche des gens. C'est nécessaire mais pas suffisant, tout comme les opérations coups de poing antidrogues, que j'approuve pleinement, mais qui ne résolvent pas le problème : un trafiquant neutralisé, ce sont deux autres qui se disputent pour prendre sa place…

Les inégalités sociales se creusent davantage chaque année, notamment pour l'accès à l'emploi. Que proposez-vous ?
Quand on atteint 40% de chômeurs dans certains quartiers, c'est un problème de société. Il faut que chaque jeune ait une formation professionnelle, une qualification. Dans ma ville, les jeunes me sollicitent pour du boulot. Quand je leur demande ce qu'ils savent faire, ils me répondent : «Tout»… Ceux qui trouvent du boulot quittent la ville. On en revient au problème de la politique de peuplement. Est-ce normal que les préfets envoient systématiquement dans nos territoires les familles au titre du droit au logement (Dalo) ? Dans nos écoles, on se retrouve avec des classes comportant 70% de non-francophones. Que peut faire un enseignant dans ces conditions ?

Comment expliquez-vous l'attitude du gouvernement face à une telle situation ?
Cela arrange tout le monde que les exclus, les pauvres, les non-francophones soient loin de chez soi. La France, ce n'est plus «liberté, égalité, fraternité», mais l'entre-soi et la compétition. On entasse les populations en difficulté dans un même territoire, et on demande au maire de se débrouiller pour que ce soit calme. Que 70% des gens n'aient pas voté, lors des dernières régionales, à Clichy ou Sarcelles, ce n'est pas grave ! Pourvu que les voitures ne brûlent pas…

Comment inverser le cours des choses ?
Ce n'est pas si compliqué, en vérité. Il faut mettre le paquet, non pas seulement en terme de moyens, mais en terme de volonté politique. Il faut déranger des gens qui veulent rester entre soi. La société française doit réfléchir à ce qu'elle veut faire de ses marges : qu'elles restent en l'état - et alors il ne faut pas verser des larmes de crocodile quand cela explose - ou décider qu'on ne peut plus continuer comme cela.



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