Il y a un peu plus d'un mois, je vous rendais compte de la réunion que j'avais eue à l'ANRU notamment au sujet de la démolition de l'immeuble Debussy. Aujourd'hui, je vous invite à prendre connaissance de l'article du blog du Monde consacrée à la réunion que j'ai organisée avec les locataires, les services de l'Office public de l'Habitat de Seine Saint-Denis et la ville de La Courneuve.
" "J'ai toujours pensé que lorsqu'on m'annoncerait cette démolition je serais si heureuse que je ferais des youyous. Mais finalement, ça me fait mal. C'est quand même vingt ans de ma vie, cet immeuble…" La vieille dame n'est pas la seule à sortir ébranlée de la réunion qui vient de se tenir ce soir-là dans une salle de l'école Joliot-Curie archicomble. La centaine de locataires qui ont fait le déplacement viennent d'apprendre la destruction prochaine de la barre HLM où certains vivent depuis des années, parfois même depuis sa construction, il y cinquante ans.
Ici, on l'appelle "le petit Debussy", une barre de quinze étages et deux cages d'escalier, par opposition au "grand Debussy", même hauteur pour dix cages d'escalier, premiers de ces longs murs gris et bleus emblématiques de la cité des 4000, à avoir été démoli en 1986.
Le vieil immeuble compte 120 appartements. La nouvelle résidence 77. Une équipe de l'office HLM et celle d'un cabinet spécialisé sont présentes ce soir-là pour expliquer le processus conduisant au relogement. "Vous allez recevoir dans la semaine un courrier de l'office avec nos coordonnées et le nom des trois personnes qui vont venir vous rencontrer individuellement d'ici à la mi-juin pour répertorier précisément vos souhaits : le nombre de pièces qu'il vous faut, le lieu que vous privilégiez, s'il vous faut impérativement un étage bas pour des raisons de santé, détaille Florence Juquin, l'une des responsables. Il faudra aussi dire précisément qui habite avec vous pour que nous puissions par exemple chercher des appartements pour de jeunes adultes qui voudraient s'émanciper."
L'idée chemine dans la tête des locataires un peu assommés par la nouvelle. Ils sont globalement d'accord avec l'ensemble du raisonnement exposé. Mais bousculés par la rapidité du processus. Tempête sous les crânes. Bien sûr, il y a la dégradation des conditions de vie mais il y a les liens forts tissés toutes ces années : "Peut-on demander à être relogés au même endroit que nos voisins ? ", demande ainsi une dame. Bien sûr les appartements ont mal vieilli, mais ils sont spacieux et avec une belle vue sur Paris. "Quelle taille font les chambres là-bas ? Moi j'ai de grandes armoires et je sais que dans les nouveaux immeubles construits ici les pièces sont souvent petites...", demande une autre.
"Vous savez, on a beaucoup appris des erreurs de conception faites dans les premières reconstructions sur le quartier, tente de les rassurer Stéphane Troussel. On sait par exemple que, contrairement à la tendance actuelle, les familles d'ici n'apprécient pas les cuisines ouvertes sur le salon…" Il est brusquement interrompu par un homme aux cheveux blancs assis au milieu de la salle qui lance sur un ton agressif : "C'est bien beau ce que vous dites là mais vous parlez pas des loyers là-bas, hein !"
Plusieurs personnes prennent alors la parole en même temps pour l'appuyer : "Oui, les loyers, dites-nous, parce qu'on sait très bien que le neuf c'est plus cher !" C'est visiblement ce qui préoccupe le plus grand nombre. Mme Juquin tente alors d'expliquer le calcul compliqué qui doit permettre qu'"en aucun cas on n'envoie quelqu'un dans un logement trop cher pour lui".
Certains semblent rassurés, d'autres font des moues dubitatives, évoquant l'expérience des récents relogés de la barre Balzac dans des appartements neufs. Joséphine Ripa, dont l'association Le lieu de Rencontres est installé au rez-de-chaussée de Debussy, prend la parole : "Moi, je connais une dame à qui on n'avait pas très bien expliqué et qui s'est retrouvée dans du neuf avec un loyer de 800 euros sans pouvoir payer. Quand on explique mal, les gens ne comprennent pas !" Elle est applaudie.
Une autre voix s'élève pour formuler la véritable crainte sous-jacente : "Ceux qui n'ont pas les moyens d'aller dans du neuf, vous allez les mettre au Mail ?" Le Mail, le nom est lâché. Dans la bouche des habitants, cela sonne comme "le bagne". Depuis la destruction de Balzac l'été dernier, c'est sur cette dernière longue barre du quartier que se concentrent désormais les difficultés : des squatts, du trafic de drogue, et des fusillades régulières qui ont fait un mort fin décembre 2011. "Personne ne vous obligera à aller nulle part", affirme Stéphane Troussel.
Il est 20 heures passées. Les premiers locataires commencent à repartir. "Je vais pleurer, moi, quand il va tomber", confie une adolescente venue avec sa sœur. "On a pris une claque quand même ce soir. Faut qu'on digère le truc. Se dire que dans un an et demi tout le monde doit être parti, ça brusque un peu", dit une femme. "Moi, je suis là depuis vingt-deux ans, s'ils me proposent mieux, j'y vais. Je suis assistante maternelle et ce matin encore l'ascenseur ne marchait pas...", explique une femme.
"Tous ces 4000, il faut les raser, pour donner une nouvelle image à la ville. J'espère que ça donnera envie à d'autres de venir y habiter" confie un quinquagénaire. Mais, il ajoute : "Vous savez on est bien ici. J'habite au 8e et depuis la destruction de Balzac, je vois jusqu'au Sacré-Cœur ! Mais le problème c'est la propreté des halls et des escaliers : on n'ose plus inviter d'amis autres que ceux de la cité, les seuls qui peuvent comprendre."
Le monsieur aux cheveux blancs et sa femme, toujours en colère, retiennent le conseiller général socialiste, qu'ils tutoient, car ils le connaissent depuis qu'il est enfant. "Pourquoi t'as pas fait une réunion avant pour demander si on était d'accord ? T'es comme Sarkozy toi, tu décides et après tu fais la réunion ?" "Mais ce soir, qui a dit qu'il était contre ? Y'a que vous !", répond l'élu calmement. "T'es un menteur ! Pourquoi le Mail ils vont être réhabilités et pas nous ?"
On sent bien que leur agressivité n'est que la manifestation d'un profond désarroi. "Mais je vous promets qu'on va vous soigner Monsieur Quertier, vous en visiterez plusieurs vous verrez !" Leur voisine essaye de les raisonner : "On va aller voir, c'est peut-être bien là-bas. Et on sera tous ensemble..." Mais le couple n'écoute pas, et s'écrie : "On ne veut pas partir ! S'il faut, on s'enchaînera à notre immeuble !"
La nuit est en train de tomber. Le petit groupe de voisins tarde à rentrer chez lui et finit de commenter la réunion en bas de l'immeuble promis à la destruction, échafaudant des scénarios.
Nous repartons vers le RER, avec une drôle de sensation, celle d'une histoire qui se répète dans cette cité des 4000, qui ne compte plus 4000 logements depuis longtemps. On se demande si en 1986, les locataires du grand Debussy avait réagi de la même manière avant la destruction de leur barre. Et ceux de Renoir, démoli en 2000 ? Et ceux de Ravel et Presov, partis en fumée en 2004. Ceux de Balzac, nous devinons. Nous étions là pour la destruction. Bientôt, les grands ensembles des 4000 n'existeront plus que dans l'imaginaire collectif. Et dans les souvenirs de leurs habitants. Dans les nôtres aussi. A. L."