19 mars 1962 : se souvenir pour mieux construire ensemble

le 19 mars 2012 :: Tribune libre

Il y a 50 ans, au lendemain de la signature des accords d’Evian entre le gouvernement français et le Front de Libération National (FLN) algérien, était proclamé le cessez-le-feu qui allait marquer la fin de la guerre d’Algérie. Comme tous les ans, en tant qu’élu de La Courneuve et de la Seine Saint-Denis, j’ai donc assisté aujourd'hui aux commémorations communale et départementale du 19 Mars devant les Monuments aux morts.

Cette date marque une étape fondamentale dans la marche vers le démantèlement de l'empire colonial français, la naissance d'un nouvel Etat souverain, un profond bouleversement du paysage politique français – la guerre d'Algérie aura emporté avec elle la IVème République – et, surtout, la fin de plus de sept années d'atrocités. La torture, érigée en système, apparaît au centre de la longue liste des exactions commises par l’armée française : Algériens enfermés dans des camps d’internement, destructions systématiques, « corvées de bois », utilisation du napalm…

Si ces méthodes terribles emportent la victoire sur le plan militaire, la guerre d'Algérie est pour la France une défaite sur le plan des valeurs. Elle provoque ainsi une très profonde crise morale en métropole : la question de la torture a divisé la France où, dès 1955, des voix s’élèvent pour dénoncer les méthodes employées par l’armée française. Défaite, la France l’est aussi de plus en plus sur la scène internationale, à l’heure où s’affirme la voix émergente du Tiers Monde. En métropole, les organisations de gauche affichent publiquement leur solidarité avec la « cause algérienne ».

L’indépendance de l’Algérie finira par apparaître, après de nombreuses ambiguïtés, inéluctable au général de Gaulle, dont l’action conduira à la signature des accords d’Evian puis à la proclamation de l’indépendance algérienne, le 5 juillet 1962. Cette guerre aura fait environ 500 000 morts, l’immense majorité des victimes se situant du côté algérien.

La fin de « l’Algérie française » va constituer un traumatisme pour une France qui se vit alors amputée d’une partie d’elle-même, ce territoire qui lui est rattaché depuis 1860 – avant la Savoie. Situation unique dans les colonies françaises, il est divisé en trois départements qui sont administrés non pas par le ministère des Colonies mais par l'Intérieur. De plus, l'Algérie est une colonie de peuplement : en 1954, près d'un million de Français vivent en Algérie, et 79% environ y sont nés. Ils sont les futurs « pieds-noirs », ceux qui quitteront massivement l’Algérie à l’indépendance et entretiendront pour beaucoup la « nostalgérie » (J.Derrida). Les Juifs d’Algérie, qui, à la différence des Arabes, ont fait l’objet d’une politique d’assimilation, se trouvent aussi massivement à bord des bateaux qui quittent l’Algérie.

Un traumatisme, aussi, à la hauteur de la honte d’une nation, et en particulier d’une génération, celle des « appelés d’Algérie », longtemps murés dans le silence. Après 1962, la culpabilité française est noyée par une série d’amnisties qui protègent les responsables de l’époque et, surtout, place les consciences à l’abri des questions. Car la guerre d’Algérie engendre une véritable crise d’une certaine vision de la France, celle que l’on a exaltée après la fin de la Seconde Guerre mondiale autour du grand récit de la Résistance. Une amnésie collective, dont l'Etat sera l'un des garants, frappe alors le pays.

Aujourd’hui, ce passé semble enfin mieux assumé par la société. Le travail de mémoire a progressé. En 1999, cette guerre cesse d’être une guerre sans nom. En 2000, le Premier ministre Lionel Jospin apporte son soutien à un appel lancé par des intellectuels pour une condamnation officielle de la torture. On ne compte plus, par ailleurs, les travaux de recherche parus sur le conflit.

L’Algérie demeure toutefois une passion française, ce que la France est tout autant à l’Algérie. Enfermés dans une relation qui se veut exceptionnelle, les deux pays sont installés dans un vis-à-vis permanent qui maintient entre eux un niveau de tension élevé tout en révélant combien la proximité mentale demeure grande. Car ce conflit, très structurant pour le rapport au monde de chacun des deux Etats, ne saurait effacer 132 ans de passé commun, lesquels, en dépit du système insupportable d’inégalités, de racisme et d’exactions, ont tissé des liens puissants.

Comme l’affirmait ce matin François Hollande, « pour que cette histoire entre de manière apaisée dans notre passé, un travail de mémoire est nécessaire ». C’est indispensable pour construire ensemble le destin commun des deux rives de la Méditerranée. C’est la responsabilité de nos générations.



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