17 octobre 1961 : Cinquante ans après, regarder le passé en face

le 17 octobre 2011 :: Tribune libre

Il y a cinquante ans, à Paris et en proche banlieue, des Algériens étaient massacrés par les forces de l'ordre et sous l'autorité du tristement célèbre Préfet de Police Maurice Papon. Sept ans après le début d'une Guerre d'Algérie que la France refuse de nommer, dans un contexte politique tendu à l'extrême, ponctué par les attentats des indépendantistes et de l'OAS, mais aussi, on l'oublie trop souvent, dans un climat social extrêmement difficile pour les "Algériens" (qui sont encore Français à l'époque), marqué par des violences quotidiennes dues au racisme et des conditions de vie et de travail souvent déplorables, un couvre-feu est instauré, le 5 octobre 1961, pour les "Français musulmans d'Algérie". Déjà, la République renie ses valeurs en introduisant dans ses règles un critère de religion, totalement contraire à la loi française.

En réponse à cette mesure qui vise à démanteler ses réseaux et empêcher son action en métropole, le FLN décide d'organiser un boycott du couvre-feu au travers d'une manifestation pacifique de masse. Des milliers de personnes répondent à l'appel, souvent en famille, avec une consigne stricte : ne répondre à aucune provocation, à aucune violence. Face à eux, pourtant, l'appareil policier a été hautement mobilisé, et lorsque les manifestants entrent dans Paris, la violence se déchaîne. À coups de matraque, de crosse ou par balle, des dizaines de victimes sont abattues. Depuis le pont de Neuilly et le Pont Saint Michel, un grand nombre de corps seront sauvagement jetés à la Seine. À Saint-Denis et à Aubervilliers, des Algériens sont jetés dans le canal, comme Fatima Bedar, cette jeune stanoise dont le corps a été retrouvé dans le Canal Saint-Denis, à hauteur d'Aubervilliers. Au vu et su de la République. Au mépris de la République.

Les violences se poursuivent les jours suivants contre les manifestants ayant été interpellés et parqués au Palais des Sports, au Parc des Expositions, au Stade de Coubertin, au Centre d'identification de Vincennes… Bien qu'il soit impossible de savoir avec exactitude combien de victimes a fait cette sanglante répression, les chercheurs s'accordent généralement pour dire qu'environ 200 personnes en sont mortes.

17 octobre 1961. Une date assez peu connue du grand public pourtant, une page blanche dans la mémoire collective française - à l'exception de tous les individus et de toutes ces familles qui sont, de près ou de loin, concernés par cet événement tragique, et des associations et des historiens qui luttent pour qu'il soit reconnu, à l'image de l'écrivain albertivillarien Didier Daeninckx, auteur de l'un des premiers ouvrages sur la question, le roman Meurtres pour mémoire, paru en 1984. Ce qui est occulté ne s'oublie pas : il n'est pas possible de faire le deuil d'une histoire dont l'existence n'est pas reconnue. Or, il s'agit-là d'un enjeu fondamental pour toute une partie de la société française. En refusant de regarder son passé en face - le 17 octobre et l'amnésie qui le frappe étant à l'image de la façon dont la Guerre d'Algérie dans son ensemble n'est toujours par assumée sur notre territoire -, la France condamne en effet une partie de ses enfants à percevoir la République au travers d'un prisme déformant, une zone floue faite de crimes et de non droit.

Le 17 octobre 1961 a bien eu lieu, et il est nécessaire que l'État le reconnaisse afin d'en apaiser la mémoire et de pouvoir rendre à ses nombreuses victimes un hommage digne, comme en appelle notre député Daniel Goldberg au président Sarkozy dans la lettre qu'il vient de lui adresser. C'est aussi en ce sens que j'ai signé l'Appel publié par Mediapart pour la reconnaissance officielle de la tragédie du 17 octobre 1961 à Paris.

Et pour qu'un message clair se fasse entendre : regarder le passé en face.

Comme chaque année, je serai présent ce soir à la cérémonie de commémoration organisée à La Courneuve, en mémoire des victimes du 17 octobre.



1 commentaire(s)


Merci.....
Amazouz Karim :: 13-11-2011 01:00

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