Kamal Hachkar, courneuvien et professeur d'Histoire-Géographie en Seine-Saint-Denis, a réalisé un superbe documentaire sur un pan relativement méconnu de l'histoire du Maghreb et, plus précisément, de son pays de naissance: le Maroc, celui de la présence millénaire d'importantes communautés juives dans la plupart des villes du royaume et dans l'Atlas et de cette double identité partagée entre juifs et musulmans.
Comme Kamal, comme son père, comme ses grands-parents, les Juifs de Tinghir, son village d'origine, étaient, sont des Berbères. Avant la guerre de Palestine/Israël de 1948, avant l'indépendance du Maroc en 1956, ils cohabitaient paisiblement avec les musulmans. Certes, les enfants fréquentaient des écoles différentes et les filles des uns n'épousaient pas les fils des autres. Mais ils commerçaient ensemble, ils luttaient ensemble face aux tribus étrangères, ils fraternisaient.
Plus de cinquante ans après, les Juifs de Tinghir et des alentours, presque tous exilés en Israël, parlent toujours l'arabe et le chleuh (le chleuh est la langue parlée sur une zone s'étendant des pentes nord du Haut Atlas aux pentes méridionales de l’Anti-Atlas, limitées à l'ouest par l'Océan Atlantique). Ils n'ont rien oublié de leur passé marocain, leurs racines, leur paradis perdu. Eux qui vivaient en paix parmi les musulmans ont trouvé un pays en guerre dans lequel on s'entretue, niant ainsi la possibilité de ce qui fut pourtant réalité des siècles durant. Eux qui n'avaient jamais eu à souffrir de leur identité, ils se sont sentis méprisés face aux Juifs ashkénazes et leur terrible passé. Bref, le départ du Maroc, qu'il ait été vraiment désiré ou perçu comme nécessaire, est vécu, jusqu’aujourd’hui, comme un arrachement.
Après le Maroc, les Etats-Unis et le Canada, je souhaite que ce travail fantastique ait un fort retentissement dans notre Département, notamment auprès de nos collégiens. Kamal nous livre en effet un formidable outil pour aider les nouvelles générations, à penser le passé de leurs ancêtres, à le revisiter, à se le réapproprier dans toute sa complexité, ses nuances. Ce documentaire invite au dialogue, lequel est bienvenu à l’heure où l’on voudrait trop souvent nous faire croire que la différence condamne au rejet mutuel. Kamal le dit d’ailleurs très bien : « ce n’est que lorsqu’il y a un autre que l’on peut savoir qui l’on est ».