Tribune de Martine Aubry publiée le 5 août sur liberation.fr
La situation européenne prend aujourd'hui un tour extrêmement préoccupant. L'Italie et l'Espagne se trouvent au coeur d'une tourmente d'une gravité exceptionnelle. Les taux d'intérêts dans ces deux pays sont devenus deux fois supérieurs à ceux qui sont payés en France et en Allemagne. Le risque d'une crise auto-réalisatrice, comme les marchés financiers en ont hélas pris l'habitude, est désormais en place : la méfiance renchérit le coût des emprunts, ce qui aggrave la situation des finances publiques et augmente davantage encore la pression que subissent les pays menacés. Privés du soutien des institutions européennes, ces pays n'ont d'autres recours que celui de s'engager à mener des politiques restrictives qui menacent de casser la croissance, ce qui devient un facteur aggravant encore pour les finances publiques et au final, augmente le risque de crise.
Comme à chaque étape de son histoire, l'Europe est confrontée au même choix : l'audace ou l'enlisement. Tout le sens de mon engagement européen me pousse aujourd'hui à souhaiter que les responsables acceptent d'aller de l'avant et brisent la spéculation. Devant l'urgence de la crise, il faut utiliser tous les instruments disponibles. J'en appelle tout d'abord à l'esprit de responsabilité de la Banque Centrale Européenne. Gardienne de l'euro, elle doit intervenir massivement sur le marché de la dette pour éviter l'implosion de la zone. Elle en a le pouvoir institutionnel, elle l'a déjà fait pour l'Irlande et le Portugal cette semaine : il faut qu'elle poursuive ses interventions, à grande échelle, pour casser la spéculation qui s'est abattue sur l'Italie et l'Espagne.
Il faut ensuite que les décisions qui ont été prises au sommet du 21 juillet dernier, lors du plan de sauvetage de la Grèce, soient mises à exécution immédiatement. Le Fonds Européen de Stabilité Financière doit pouvoir intervenir le plus vite possible, en prêtant directement aux pays en crise, à des taux qui reflètent leurs véritables fondamentaux, et non la perception auto-déformante qu'en ont les marchés. Or ses moyens sont notoirement insuffisants. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les marchés se sentent en position de force aujourd'hui pour exiger des rendements exorbitants. Il faut donc pouvoir doubler le plus vite possible les ressources dont il dispose.
Ces moyens de court terme ont le pouvoir de briser la spéculation, mais elles n'auront d'efficacité durable qu'à la condition d'annoncer des réformes plus profondes. Je l'ai dit à plusieurs reprises et encore lors du sommet de juillet dernier, il faut substituer au gouvernement des marchés et des agences de notation, un gouvernement de la zone euro, doté d'une capacité d'emprunt et de ressources fiscales propres qui lui permettent d'agir, et en particulier la taxe prélevée sur les transactions financières de 0,05% que je propose avec mes amis socialistes et sociaux démocrates européens. Ainsi les marchés financiers seraient-ils mis directement à contribution du financement des déséquilibres qu'ils contribuent à provoquer. Le gouvernement de la zone euro disposerait aussi de la capacité d'émettre des euro-obligations, garanties solidairement par les Etats et rachetables à l'émission par la BCE, dans une proportion suffisante pour disposer d'une force de frappe efficace pour venir rapidement au secours d'un Etat en difficulté. Ainsi pourra se mettre en place une stratégie de croissance coordonnée, seule à même de réduire chômage et déficits.
La zone euro doit offrir l'espace de stabilité et de progrès pour laquelle elle a été créée. Il faut que les dirigeants européens prennent toute la mesure de la crise actuelle pour qu'elle le devienne enfin vraiment.